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Témoignages

Là-bas est Ici : l'essence est l'expérience

par Jean-Paul

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La révélation d'ici

 

Les premières expériences faites avec Douglas Harding ont été pour moi, comme pour bien d'autres, source d'une révélation capitale : ici (où il y aurait dû avoir une tête) il n'y avait rien, rien de défini, de délimité, et cet espace vide, illimité, était, en même temps, plein de toutes ces choses bien limitées qui se trouvaient là-bas. Un avantage qui m'est apparu immédiatement, c'est que cela me permettait de me débarrasser d'un seul coup de tous ces problèmes qui empoisonnaient ma vie depuis toujours. En effet le petit être que j'apercevais là-bas, très loin dans le miroir, ce n'était pas vraiment moi, ce n'était qu'un individu parmi d'autres, pas plus ni moins important que les autres, je n'étais pas du tout obligé de m'y identifier. Au contraire, l'invitation de Douglas était plutôt de m'identifier à la totalité du monde, sans sélectionner un individu ou un groupe particulier.

 

Le retour du là-bas

 

Toutefois les premiers moments d'euphorie suscités par la vision sans tête ont été suivis rapidement d'une longue période de désillusion. Je me rendis compte rapidement que si les faits sont têtus, les problèmes, eux, sont entêtants (au sens propre du terme). Les miroirs ne sont pas toujours là où l'on est tranquille (la salle de bain, les séminaires…) pour regarder ce qu'il y a dedans. Ils venaient en fait souvent au-devant de moi, sans me laisser le temps de prendre le recul nécessaire. Je me sentais jugé et, du coup, par défense, je me remettais, moi aussi, à juger. Jugé d'abord par ceux qui ne comprenaient pas ma nouvelle découverte et les états euphoriques qui s'ensuivaient, et puis jugé parce que je ne donnais pas toujours des réponses socialement adaptées aux situations de la vie quotidienne. Les menaces n’ont pas tardé : mon intégrité physique fut même mise en danger. Et plus je me disais que cela ne concernait que le petit homme du miroir, plus cela suscitait en moi des émotions de plus en plus difficiles à contrôler... En fait plus je m'efforçais au nom de ma pieuse volonté d'identification au monde entier, de me désidentifier de mes émotions et des jugements qui les suscitaient, et plus ils se renforçaient.

 

L'expérience est limitée dans le temps

 

Aujourd'hui je comprends que pour moi comme pour beaucoup d’autres, il y a eu, au début, un formidable effet de séduction qui réside dans la faculté de distanciation que semble pouvoir nous procurer la vision sans tête. Se désidentifier de son image dans le miroir ,en particulier des émotions désagréables qui y sont associées ,et s'identifier, à la place, au monde entier est une expérience essentielle d'amour et de puissance qui relativise beaucoup nos petits problèmes personnels (ceux de l'égo). La difficulté vient de ce qu'ensuite nous essayons de revivre cette expérience le plus souvent possible. En ce qui me concerne, mon rêve était même de la prolonger indéfiniment. Or, une expérience est toujours et partout limitée dans le temps et dans l’espace. La vérité, qu'il n'y a rien ici, qu'elle démontre irréfutablement est ensuite oubliée ou, plus exactement, pour ne pas être oubliée, elle est inscrite dans la mémoire.

 

... puis mémorisée et codifiée par des mots

 

La vérité, découverte par l'expérience, est mémorisée verbalement, elle est codifiée. Elle fait l'objet de livres ou d'articles comme celui-ci afin de ne pas l'oublier, Mais qu'est-ce que cela a à voir avec l'expérience elle-même ? La fameuse métaphore de la carte et du territoire s'impose ici irrésistiblement. Le territoire ne peut être exploré que par l'expérience, pas par la carte des mots. Certains diront que l'imaginaire, activé par les mots, peut aider à faire ou, du moins, à refaire l'expérience. Je dirais plutôt que l'imaginaire appartient à l'ordre des miroirs, il invite à s'identifier à certaines images plutôt qu'à d'autres. Même s'il s'agit d'une image de l'expérience de la vision sans tête, il s'agit bien d'une image et non de l'expérience elle-même ! La confusion vient de ce que, pour paraître « scientifique », on objective l'expérience, notamment en la répétant plusieurs fois afin d'établir la validité de ses résultats. Par exemple, après avoir fait plusieurs fois les expériences proposées par Douglas, si les résultats obtenus par différentes personnes, et à différents moments, sont identiques, la vérité peut être objectivée et définitivement codifiée par des livres, des conférences, des récits, etc. Un des critères fondamentaux de la science, c'est l'objectivité. Une carte complète et très pratique s'élabore ainsi, destinée à nous aider à nous orienter sur le territoire mystérieux de la spiritualité.

 

L'expérience est aussi subjective

 

L'inconvénient, c'est que ce type de démarche évacue toute possibilité de subjectivité. L'expérience doit certes être objective mais elle comporte aussi nécessairement, du moins dans ce domaine de la recherche spirituelle, un côté subjectif qui s'oppose à l'objectivisme rigoureux de la science pure et qui le complète. Si des expériences purement scientifiques peuvent donner des résultats pouvant servir à tous, par contre les expériences spirituelles faites par d'autres ne peuvent guère nous servir, sauf à enrichir nos connaissances, ce qui a pour effet banal de flatter notre égo, notamment en lui faisant croire qu'ainsi il progresse sur son chemin spirituel. Mais l'expérience spirituelle est d'abord et avant tout une expérience intérieure, nous devons la faire nous-même ! Et l'intérieur ne peut être vécu que de l'intérieur, pas de l'extérieur !

 

L'identification à l'image d'ici

 

Toute tentative de le communiquer, par exemple en le décrivant, est inévitablement une extériorisation permettant d'en vérifier l'objectivité et de le reproduire : est-ce fondé sur une observation rigoureuse, d'autres l'ont-ils aussi vécu ainsi, comment saurais-je que je le vis ou le revis ? Bien sûr, ces communications peuvent nous aider mais uniquement si elles nous amènent à faire ou refaire l'expérience nous-même ! Mais lorsque c'est nous qui communiquons, nous avons tendance à nous féliciter individuellement ou collectivement d'avoir fait des expériences aussi sublimes et nous prouvons alors par mille arguments la justesse quasi scientifique de notre découverte afin de convaincre nos proches ou moins proches... Ce faisant nous plongeons dans une identification qui est d'autant plus inconsciente qu'elle est à une image d'ici. Ou, plus exactement, de moi ici.

 


L'abolition de la séparation tomba dans le miroir

 

L'euphorie que j'avais ressentie au début où je pratiquais la vision sans tête, je l'explique par la disparition, vécue par instants brefs, de toute frontière entre intérieur et extérieur, entre subjectif et objectif. Cette abolition de la séparation entre moi et le monde, je l'ai ensuite mémorisée fortement, j'en ai fait un principe, auquel je croyais d'autant plus fort qu'il était fondé sur des expériences soi-disant objectives. Or, ce faisant, je ne faisais que m'identifier à une image extérieure de cette abolition et de ceux qui en étaient les théoriciens socialement reconnus : Douglas et ses grands prédécesseurs indiens. Mes problèmes demeuraient, s'amplifiaient même : plus je reniais mon angoisse en m'efforçant désespérément de la placer dans le miroir là-bas et en me répétant qu'elle ne concernait pas mon être véritable, et plus irrésistiblement elle m'envahissait, comme une vague auquel le reflux forcé donne encore plus de puissance lorsqu'elle revient.

 

Le monde est dans moi et je suis dans lui

 

Jusqu'au jour où j'ai compris ? par l'expérience ? que si, ici, j'étais un espace vide contenant le monde là-bas, ce monde là-bas me contenait, en même temps et partout ici. Cela, je l'ai compris et je le comprends toujours en étant totalement dans ma peur, en m'y identifiant totalement, au lieu de vouloir la contenir en m'accrochant désespérément à ici ! Douglas le dit lui-même d'ailleurs dans son livre « Vivre sans stress » (page 31) : « Vous avez mal, vous êtes triste, en colère, anxieux ? Très bien, soyez-le ! N'esquivez pas la souffrance, ne faites pas semblant de l'ignorer. Elle est là. Enfoncez-vous carrément dedans (souligné par moi). Expérimentez-la réellement. Et voyez ce qui se passe quand elle n'est pas là-bas mais ici » Il est probable que si j'avais lu cet extrait après avoir fait mes premières expériences de vision sans tête, je ne serais sans doute jamais allé plus loin ! Ce qui me plaisait, en effet, c'était ce sentiment expérimenté d'unité avec le monde qui me permettait de me désapproprier de ma souffrance. Il n'était pas question du tout pour moi d'aller dans ma souffrance mais, par contre, je voulais bien qu'elle soit dans moi comme tout le reste du monde

 


Conclusion

 

Pour résumer tout ceci disons que, pendant des années, je me suis défendu d'aller dans mes émotions négatives en me servant de la voie sans tête elle-même, en en faisant une doctrine. Quel enseignement puis-je en tirer ? Je ne sais pas encore très bien. Peut-être celui de mieux accepter le paradoxe d'être à la fois contenant et contenu des mêmes choses... S'identifier, c'est être dedans ce à quoi on s'identifie, en l'occurrence être dans le monde entier.

 

Il convient donc de ne pas oublier de mettre aussi dans le miroir :

 

  • celui qui est en train de regarder dans le miroir,
  • celui qui se donne pour objectif la réussite des expériences de la vision sans tête qu'il refait ou dont il sait qu'il va les refaire...
  • et celui qui veut partager son expérience, convaincre les autres de sa validité, en faire un idéal collectif..

 

 

C'est sans doute lorsqu'il ne reste vraiment, vraiment, vraiment plus rien ici que je puis être aussi complètement dans tout ce qui se passe là-bas : calme extérieur et tempêtes, paix intérieure et émotions, et que tout ce qui se passe là-bas peut être aussi dans moi. Ici extériorité et intériorité se confondent. Mais ceci constitue encore un discours fait de mots, ce n'est pas l'expérience elle-même...

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