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Vision Sans Tête
La « méta-poésie » : verbe de la première personne
par Richard Boyer
L’écriture poétique constelle de nombreux textes fondateurs des religions et des traditions spirituelles. Au milieu de traités innombrables, de textes structurés décrivant la voie spirituelle – ses étapes, ses risques, ses réalisations – fleurissent de superbes poèmes riches de rythmes et d’images et enceints d’un haut pouvoir suggestif.
Il semble dans bien des cas que les formules et spéculations linéaires de l’écriture logique ne parviennent pas à égaler la force évocatrice et l’impact inducteur du mode poétique.
Le verbe poétique se révèle souvent plus apte à évoquer l’“indescriptible” que la cohérence despotique des textes issus de la raison. Peut être est-il même l’une des premières formes – vibratoire, musicale – que prend le silence, la pure conscience, dans le processus mystérieux de la créativité.
Lao Tseu disait en son temps : « La plus grande révélation est le silence. ».
Le poète pressent le silence, il tend son oreille intérieure vers cette source ultime de toute inspiration. Son défi consiste, paradoxalement, à évoquer la profondeur, la vacuité, la clarté, l’immensité à travers des mots, de simples mots.
Nous retrouvons déjà cette conception de la poésie, grande prêtresse de l’intuition et de la sagesse dans les Vedas.
Depuis toujours, la tradition indienne a assigné aux Vedas une autorité sans égale. Elle les considère comme “l’écriture” par excellence, la grande révélation de la vérité concédée aux ancêtres. Pour Sri Aurobindo : « Le Veda actuel serait le dernier testament légué par l’Age de l’Intuition et par les grands Ancêtres des Aubes lumineuses, à la race de leurs descendants orientés déjà vers les choses d’en bas, vers les spéculations plus faciles de l’intelligence logique et vers les gains plus sûrs, du moins en apparence, de la vie physique.
Les Vedas, vaste ensemble d’hymnes mythiques poétiques furent écrits par des Rishis qui n’étaient pas simplement des auteurs, mais aussi avant tout, des voyants, des yogis et des prêtres.
« La lettre même du Veda : “Sruti” le rythme perçu plus que
conçu par l’intelligence, la vibration du Verbe divin venu
de l’infini jusqu’à l’oreille intérieure de l’homme qui a su
se plier à cette impersonnalité de la connaissance. »
Sri Aurobindo
Ces textes, ces hymnes à la culture de soi, ces cantiques et invocations colorés aux différentes émanations – les Dieux – de la grâce divine, représentaient sans doute pour le Rishi (le poète d’alors), un moyen de progrès, d’inspiration, d’ouverture spirituels, tant pour lui?même que pour le lecteur.
Jailli du silence ou descendant des cieux supra conscients, le poème conférait force et clarté à son esprit, affermissait le règne du divin maître intérieur, et pouvait servir d’exorcisme à l’ignorance, au “mal”.
Ces hymnes védiques figurent parmi les plus anciens textes de l’humanité.
Depuis, de nombreux sages, yogis, eurent et ont encore recours au verbe poétique pour exprimer et partager l’essence de leurs visions, de leurs expériences.
Et même si tous les grands poètes ne s’avèrent pas de grands mystiques, il émane souvent confusément de leurs œuvres les parfums émouvants d’une poignante nostalgie spirituelle.
Je me propose de décrire maintenant trois formes poétiques distinctes correspondant à trois étapes spirituelles majeures que peut rencontrer tout être humain au cours de ses pérégrinations existentielles et de son cheminement évolutif. Ces trois niveaux de l’expérience intérieure sont parfois vécus temporellement d’une façon linéaire ; mais bien souvent pour beaucoup d’entre nous ils représentent plutôt trois degrés d’un processus ou les “récapitulations” (au sens alchimique du terme) et les retours au point de départ sont nombreux, parfois douloureux, mais sans doute toujours nécessaires.
Ces flux et ces reflux de l’expérience ressemblent aux mouvements d’une grande respiration de la conscience, ou à ceux d’une sorte de “yo-yo” évolutif dynamique qui relient les deux grands pôles de l’expérience humaine : La personnalité et l’âme ou, pour employer un autre langage, la troisième et la première personne.
Ces trois étapes du voyage de l’âme peuvent se résumer à :
-
L’exil et la nostalgie spirituels.
-
L’aspiration consciente et la relation d’amour au “Divin”.
-
La non-dualité.
-
Je montrerai dans cet article que la poésie décrit de façon très vivante et parfois inspirante ces trois stations de l’aventure de la conscience et invoquerai pour finir une véritable poésie de la première personne : un nouvel art de tresser les grandes vibrations supra conscientes en mélodies d’éveil, en chants de réalisation spirituelle.
La poésie : chant d’exil et de nostalgie spirituels.
Certains vers de Mallarmé élèvent la sensibilité vers les pures pointes de la nostalgie spirituelle, de la langueur intérieure de l’âme, du supplice terrible de l’amant privé de sa bien-aimée. Ils jaillissent de l’absence et amènent à incandescence la poignante imploration du cœur blessé par l’exil. Ils scandent les cris du mécontentement intérieur, de l’absurde, du non-sens – préludes secrets à l’ouverture, promesses d’espaces vierges à conquérir.
Ils évoquent le manque consumant, ils expirent comme de longs soupirs, ils convoquent à la dramatique impossibilité des noces.
« De l’éternel azur la sereine ironie
Accable belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs. »
« En vain ! l’Azur triomphe, ... »
« Je suis hanté. L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! »
« Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l’Azur »
« Et la bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace »
« Au-dessus du bétail ahuri des humains
Bondissaient en clartés les sauvages crinières
Des mendieurs d’azur le pied dans nos chemins »
« J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève
Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil… »
« … Mais avant, si tu veux, clos les volets, l’azur
Séraphique sourit dans les vitres profondes
Et je déteste, moi, le bel azur !…. »
J’ai choisi à dessein quelques vers des poésies de Mallarmé, évoquant de multiples façons l’image de l’azur. Cet azur inaccessible chanté et parfois honni par le poète représente, cela ne fait aucun doute pour moi, une métaphore, le symbole même de la réalité spirituelle.
De nombreux mystiques (poètes à leurs heures) employèrent l’image du ciel, de l’azur, de l’espace pour suggérer la pure et claire Conscience.
« Comme le ciel qui, sans concept
Embrasse toutes choses,
L’espace immaculé de la nature de l’esprit
Est présent dans tous les êtres. »
Maitraya Asanga.
« Me fondant dans l’espace de la vacuité
Sans limite ni frontière
Tout ce que je vois et entends
Esprit, ciel, tout devient un. »
Shabkar
Sans doute sont-ils nombreux celles et ceux qui à l’instar de Mallarmé se sentent hantés par le ciel, par la limpidité souveraine et illimitée de l’azur.
J’aime penser qu’ils y projettent la nostalgie de leur nature profonde, oubliée et perdue depuis l’enfance.
Le ciel devient ainsi le symbole précieux à travers lequel les cœurs sensibles soupirent secrètement après l’éden perdu, se languissent inconsciemment du “Bien Aimé” et expriment le sentiment profond de ne plus appartenir au réel.
« Je est un autre. » chantait Rimbaud en son temps. Ce sentiment d’absence, de déréliction confuse, cette impression d’être exilé, cette conscience angoissée du “vide existentiel” sont mis en relief et comme exacerbés par la vue ou le souvenir du ciel.
L’azur souligne alors le drame insupportable de l’amnésie spirituelle. Toujours splendide et inviolé au-dessus de nos tristes têtes fantasmées, il nous renvoie au temps mécréant de l’absurde existentiel, à l’inanité de nos vies, à notre infirmité céleste, à la terrible castration de nos âmes. Il semble nous narguer et sourire ironiquement de nos pitoyables misères, lui qui règne dans la plénitude à jamais inaccessible pour nous de sa majestueuse sérénité et de sa liberté.
Ce non-sens existentiel pèse souvent lourdement sur nos vies à un moment ou un autre. Il ouvre notre cœur au “mécontentement divin” : sans lien conscient avec l’Esprit, vivre s’avère impossible. Les choses du monde ne peuvent plus nous satisfaire, l’eau après laquelle notre âme soupire n’y coule pas, et notre soif devient inextinguible. S’ouvre alors la possibilité du temps béni de la conversion : la brûlure du manque inconscient se transforme en aspiration consciente.
L’amour hisse bien haut son pavillon au gréement du voilier de nos vies. L’errance devient quête et l’âme, s’adonnant à l’amour, commence à changer d’altitude.
« J’ai essayé tous les remèdes
Mais nul n’est plus puissant qu’Amour
Si une seule goutte tombe dans nos corps
Elle pénètre chaque pore et le transmue en or. »
Kabir
La poésie : chant d’adoration et d’amour divin.
La reconnaissance du manque prélude à la participation active, amoureuse, aux noces mystiques. Elle augure le ressouvenir salvateur, l’union sacrée de l’âme et de son “Bien Aimé”, la présence du Soi.
« Ame cherche le bien Aimé,
ami cherche l’Ami. »
Rumi
Le cœur devient alors le lieu du “rappel”, de la découverte du Divin intérieur. La relation d’amour au Divin (la “bhakti”, la dévotion, la folie ardente de l’adoration intérieure), s’avère le feu fécondateur de la renaissance. La nostalgie se transforme en désir brûlant, en aspiration, en embrasement amoureux.
Et l’amour lève les voiles en les consumant : Dieu se révèle à l’amant dans l’extase de l’union.
« Pour écrire Ton Nom, ô Ram, je brûlerai ce corps :
Mes cendres seront l’encre,
Et mes os seront plume pour composer ma lettre. »
Kabir
C’est sans doute pour cela que la “Bhakti” – adoration intérieure du divin – occupe toujours dans les Traditions spirituelles, une place de choix.
Sri Aurobindo ne se limite pas à la Bhakti dans sa démarche et son enseignement, néanmoins il en souligne à maintes reprises, l’importance et la puissance dans sa “synthèse des yogas” (où l’amour occupe une place majeure en compagnie de la connaissance et de l’action) :
« L’amour nous fait passer de la souffrance de la division à la béatitude de l’union parfaite, mais sans pour autant perdre la joie de l’acte d’union : c’est la plus grande découverte que l’âme puisse faire, et toute la vie du cosmos en est une longue préparation. Ainsi, s’approcher de Dieu par l’amour, c’est se préparer à l’accomplissement spirituel le plus grand qui soit. »
Dans la “bhakti”, l’union s’irise de toutes les couleurs, de toutes les lumières, les intensités et les félicités de l’amour.
Par l’adoration intérieure l’amant se consume en l’aimé, ils deviennent un dans l’infini frémissement et délice du cœur, en savourant l’ambroisie de pur ânanda de leur rencontre, de leur fusion.
Dans l’ardente brûlure de l’amour, l’amant se perd, il meurt ; seul demeure l’Aimé au comble de sa gloire.
(63) « Qui brûle sa demeure la délivre
Mais qui veut la sauver la perd !
J‘ai vu une grande merveille :
Qui meurt de son vivant peut faire mourir la mort. »
(66) « L’Amour ne se cueille pas comme une fleur,
l’Amour ne se vend pas dans les échoppes
Si d’Amour tu es en quête, que tu sois prince ou gueux
Offre d’abord ta tête. »
(67) « O Kabir, beaucoup prennent place
Autour du brasier de l’Amour.
Mais seul se désaltère de son nectar
Celui qui offre sa tête. »
Kabir
Quelle que soit la voie : bhakti, connaissance, action, le prix à payer reste toujours le même : c’est le prix le plus fort. Nul crédit, nul rabais, aucune bonne affaire possible,
Dieu = non deux.
Tant que “je” persiste à exister en tant qu’entité séparée, Dieu reste voilé ; dès que “je” m’efface, Dieu se révèle et resplendit dans l’ouverture de l’abandon.
(81) « Sur le vide s’est levée la conscience,
Et la lumière a jailli !
A chanter l’Etre Immense qui existe par Soi,
Je me suis complètement perdu. »
Kabir
Dans l’accomplissement de l’amour, le puissant vent de la “Gnose” souffle ; il emporte les voiles, les mirages, les illusions, il balaye les nuages de l’ignorance et restaure le ciel de la conscience en sa virginale et ultime non-dualité.
L’aube de l’identité originelle se lève alors, la première personne, Dieu-Homme, s’épanouit à travers une conscience et une perception transfigurées.
La poésie de la première personne : chant de célébration de la
non – dualité
Cette poésie est en fait une méta-poésie : elle évoque la vie, le réel à partir de l’identité Dieu-Homme, à travers les perceptions de la première personne.
Kabir consacre ses derniers poèmes à cette « vision » – car à ce niveau l’amoureux devient le “voyant”, il contemple Dieu en sondant son âme qui a pu éclore en lui par la grâce de l’amour.
(95-96) « Je suis en tout, tout est en Moi.
Je suis : nul n’existe hors de Moi.
Je suis partout dans les trois mondes,
Et le cycle des vies n’est que mon Jeu à moi.
Les six philosophies deviennent Mon vêtement,
Mais Je transcende tout, les symboles et les formes.
Moi-même, j’ai pris ce nom de Kabir
Moi-même, de Moi-même, J’ai tout manifesté.
Je suis en tout, tout est en Moi
En myriades de vies, Je suis manifesté
Et pourtant Je transcende tout.
Appelez-moi Kabir, appelez-moi Ram,
Cela revient au même ! »
Cette poésie traduit la simplicité, la nudité, la majesté, l’amplitude sublime de l’éclosion de la Conscience. Les poèmes se veulent alors des actes mélodiques susceptibles, par delà leurs pouvoirs d’éveiller l’émotion esthétique, d’induire l’essence de l’expérience non duelle.
Ainsi cet acte poétique né de l’expérience me semble parfois enceint du pouvoir de convoquer et d’initier chez le lecteur l’acte de conscience par lequel “je” revient à sa propre source.
Tel pourrait être, tout du moins, l’une des visées de cette poésie que prophétisait en son temps Sri Aurobindo.
La poésie du futur – ainsi qu’il l’appelait – je la vois et la conçois maintenant comme une poésie de l’instant présent, un verbe “mantrique”, un chant de la première personne. Mystérieusement reliée à la langue mythique et unitive des Dieux elle permettrait à qui s’y adonne de réaliser cet “acte de conscience” semblable au pointement radical de l’index de Douglas, indescriptible et seul capable d’induire l’alliance avec l’immobilité jaillissante, incommensurable et la virginité androgyne de l’Ame, du Soi.
De certains textes de Stephen Jourdain, émane ce parfum rare.
Son verbe (assez proche pour moi, par certains aspects de celui de Rimbaud) hautement coloré et original, me semble détenir le pouvoir de fracturer les blindages de notre indigente conscience ordinaire, d’y produire des béances par lesquelles le Réel s’infiltre, secoue notre incurable tiédeur, électrochoque notre léthargie spirituelle.
Divers passages de son œuvre s’élèvent comme des musiques ou des incantations « mantriques » dans nos âmes et font descendre les Dieux dans nos vies.
Ils célèbrent l’intronisation de la première personne : “je”.
« Trouvant pour la première fois le contact authentique de ma vie,
versant en elle, la devenant, devenant son essence intérieure,
venant habiter le souffle « je » et le faire moi-même souffler….
Exhumant la gemme fabuleuse, l’inimaginable splendeur
qui attend l’homme au cœur de lui-même…
JE SUIS
JE VEILLE. »
Stephen Jourdain : « Cette vie m’aime »
Ainsi la poésie devient véritablement un acte – étymologiquement poésie vient du grec “poiésis” : action de faire, ce n’est qu’assez récemment qu’elle fut reléguée par les “modernes” au rang “d’art de la fiction littéraire” ? susceptible d’éveiller la conscience, de précipiter le sens de l’identité de la troisième à la première personne.
Dans le premier tome des « Cahiers d’éveil », Stephen Jourdain définit magnifiquement ce type de poésie :
« En son fond incandescent, la poésie devenue méta-poésie,
est consubstantielle à l’ultime réalité.
La poésie est la matrice de la réalité.
La réalité est la matrice de la poésie.
(…) Dans la texture même de l’éveil, quel lien noue la conscience infinie
à la méta-poésie ?
La méta-poésie possède un cœur, qui est l’ineffable chant
Du sentiment de moi-ité.
Ce sentiment n’est pas le moi ultime, il est le ciel où se lève
Le soleil de la conscience “moi”. »
Après Kabir et Stephen Jourdain , voici quelques extraits de méta-poésie que nous propose avec sobriété Nan Shan, dans le pur style Chan-Taoiste.
« Dès que l’esprit se met en branle, le Tao est perdu.
Dès que l’esprit s’arrête le Tao est visible.
Le passé est scories, le futur est imaginations.
Tous deux forment le cadavre du connu.
Lorsque le présent est vécu dans la dimension du connu, le couvercle du cercueil
est déjà refermé.
Le présent est inconnu et mystère, le bambou plie au vent,
la rivière coule.
Le sage vit comme il advient, au mieux, sans conditions.
Dans l’ouverture à ce “sans conditions”
réside une joie subtile et pure, nectar du Tao.
A l’occurrence de chaque advenir, au bien comme au mal,
il dit : juste ce qu’il fallait. »
Sri Aurobindo maintenant (ne disait-il pas qu’il était avant tout poète ?) avec quelques vers à l’ampleur prophétique de son « Savitri » :
« De même qu’un Œil intemporel annule les heures
Abolissant l’agent et l’acte,
De même maintenant son esprit resplendit, vaste, pur, immobile,
Son mental éveillé devint une surface vide
Sur laquelle l’Universel et l’Unique put écrire. »
« Ma vie est un silence étreint par des mains hors du temps ;
Le monde est noyé dans ce regard immortel.
Nu de ses vêtements se dresse mon esprit ;
Je suis seul avec mon propre moi pour espace.
Mon cœur est un centre de l’infinité
Mon corps un point dans la vaste expansion de l’âme.
Immensité sans moment pure et nue
Je m’étends à un éternel présent. »
Cet article serait bien sur incomplet s’il ne rendait pas hommage aux Upanishads et à travers elles au Veda primordial.
… « Celui qui discerne que tous les êtres sont dans l’Ame et que
l’Ame est dans tous les êtres, celui là ne s’en détache plus.
Celui en qui l’Ame est effectivement devenue tous les êtres et qui le sait …
Peut-il y avoir là matière à vertige, à souffrance
pour qui discerne l’unicité ?
L’Ame circonscrit toutes choses, elle est un mystère lumineux,
incorporel ; on ne peut la blesser car elle est sans ligaments,
pure, le mal ne peut l’atteindre.
Elle est un Voyant, un Sage, elle est le Seigneur né de lui-même
qui disposa les éléments, chacun à sa place, pour la succession des ans. »
Isa Upanishad – Yajur Veda
… « Je suis la lumière, je suis l’immortalité, je suis le lien du monde,
ce qui fut, est et sera.
Je suis toi, Je suis moi et toi.
Comprends que tu es moi.
N’aie pas de doute par l’effet de ton âme trop simple.
Gouvernant toutes choses, mainteneur à forme universelle…,
Le cygne exempt de souci, sans vieillesse, antique,
Marchant droit, c’est moi en vérité.
Je suis le chantre omniface, omniprésent, suprême, veilleur d’hommes.
Je suis partout, je suis puissant.
Je suis à moi seul tout ce qui existe ici-bas. »
Baskalamantra Upanishad - Rig Veda
Depuis mon adolescence la poésie joue un rôle important dans ma vie. J’affirme qu’elle m’a spirituellement sauvé lors du douloureux passage à l’age adulte ; elle m’a aidé à garder entrouverte la porte d’accès à l’homme intérieur, elle m’a préservé des dangers de la raison despotique et a nourri ma sensibilité.
Depuis elle représente à mon cœur une amie très chère avec laquelle j’aime flirter.
Dans mon désir de collaborer à l’éclosion de la « méta-poésie », l’idée m’est venue d’introduire au sein d’un poème l’exercice (si pratique et si radical) du doigt de mon précieux ami spirituel Douglas Harding.
On obtient ainsi un chant reformulant d’une façon mélodique le célèbre Koan Zen :
« Quel était ton visage avant que tes parents soient conçus ? »
et proposant une pratique (l’index) pour répondre à cette question par l’expérience, directement.
VISION LIBÉRATRICE
Quand coulera t-elle
La stance souveraine, la mélodie solaire,
L’éveilleuse ?
Quand sera t-il donné
Le poème racine, l’ultime Om
L’enseigneur ?
Quand pulsera t-il
Le rythme béni, le chant sublime
L’illuminant ?
Jamais, hélas
Nul mot ne peut transmettre
Nul mot.
Mais il reste ce doigt
Ce doigt patient et dramatique
Ce doigt enthousiaste pointé vers ton âme.
Et cette question unique
Trois fois renouvelée :
Lorsque cet index inouï désigne ton visage,
Que montre t-il pour toi, ici, maintenant ?
Que vois-tu de ton côté ?
Quelle est la nature de ton visage pour toi-même ?
Pour ma part :
Que vois-je ?
Rien ! Rien ! Rien !
Et pourtant, enfin,
Je vois,
Je suis.
Je vois qui Je suis.
Émanant du vide
Contenant toutes formes
En vérité
Parfaite est la vue
Parfaite, nue, libératrice.
Ce poème s’est élevé en moi comme une louange, un chant de célébration et de reconnaissance.
Et que reste t-il d’ailleurs à faire pour un cœur dont la vision épouse l’Immensité, sinon partager, encore et encore, l’expression de la gratitude et de la Joie.
Ainsi chante pour finir le poète : « La gratitude est le Divin même. »
par Richard Boyer